3 questions à Jean-François Ponge, à propos des sols forestiers

Article repris sur le site de Canopée forêt vivante / Publié le 21/07/2023 / Rédigé par Canopée

Jean-François Ponge est professeur émérite du Muséum national d’Histoire Naturelle. Il a fait partie de notre conseil scientifique...

Vous êtes un spécialiste des sols forestiers. Quel est l’état des connaissances aujourd’hui sur les sols forestiers et leur capacité de stockage de carbone ?
Actuellement, il y a une grande inconnue : jusqu’à quelle profondeur le sol peut-il stocker du carbone ? Il y a des sols qui vont stocker du carbone plus profondément que d’autres. Quand un sol est acide, où l’on observe une couche organique qui se décompose mal, le carbone n’est pas stocké en profondeur, il va être stocké dans cette couche organique, sous une forme peu durable.

On a pensé pendant longtemps que là ou le carbone s’accumulait dans les sols, c’était là où la décomposition était mauvaise donc dans les sols avec une couche organique sans vers de terre. Même s’il n’y a pas encore assez de répétition de ces mesures, on sait désormais que c’est le contraire : ce sont dans les sols avec une forte activité biologique (présence de vers de terre et de racines profondes par exemple) qu’il y a le plus de carbone stocké car il est stocké en profondeur. On pensait que les vers de terre contribuaient à minéraliser la matière organique et donc accélérer le cycle du carbone, c’est vrai à faible profondeur, là où le sol est aéré, mais ils contribuent aussi à stocker du carbone en profondeur, de façon durable.

Les méthodes d’exploitation sylvicoles et le choix des essences ont un impact sur l’activité biologique des sols et de leur avenir.

Les coopératives forestières et certaines études nous expliquent qu’une sylviculture intensive, notamment en réduisant l’âge d’exploitabilité des arbres et les rotations forestières, favorise la lutte contre le réchauffement climatique. Qu’en pensez-vous ?
Le sol peut stocker du carbone mais la biomasse ligneuse (le bois, les branches, les souches etc) peut aussi stocker du carbone. Avec la sylviculture intensive et le rajeunissement des peuplements, on recherche la phase de croissance rapide des arbres. Le problème est ce que l’on fait de ce bois. Si le bois produit est destiné à être brûlé rapidement (dans des chaudières par exemple), ça ne sert strictement à rien en termes de fixation de carbone puisque tout ce qui a été synthétisé par l’arbre repart dans l’atmosphère suite à sa combustion. Les partisans d’une sylviculture intensive ne prennent en compte que l’aspect du flux de carbone au sein de l’écosystème forestier et non pas celui de la durée de son stockage.

Un autre modèle de sylviculture consiste à laisser les arbres grandir jusqu’à maturité puis d’en faire du bois d’œuvre, un modèle qui permet quant à lui de stocker du carbone durablement, sous forme de meubles, de charpentes ou d’édifices destinés à durer (bâtiments, ponts, etc.). Et ce, à condition que la transformation du bois se fasse localement afin d’éviter un surplus d’émissions carbonées lors du transport du bois.

Face au changement climatique, les forêts souffrent. De nombreuses voix appellent à un processus d’adaptation de la forêt, en substituant certaines essences par d’autres, censées être plus résiliantes. Qu’en pensez-vous ?
La forêt se développe lentement, or les changements climatiques que l’on connaît actuellement sont rapides, les arbres n’ont pas le temps de s’adapter. Évidemment, on croit pallier à ça en sélectionnant des essences plus tolérantes : on ne va pas laisser la nature faire son travail puisqu’elle n’a pas le temps. Le problème c’est que l’on n’a pas une connaissance suffisante des capacités d’adaptation des essences, comme dans le cas du hêtre par exemple. On dit que le hêtre est fragile par rapport à la sécheresse et on constate quand même que le hêtre pousse très bien dans certaines zones relativement sèches (cas de la hêtraie de la Sainte-Baume , par exemple). Et ce alors que des essences que l’on pense mieux adaptées comme le chêne souffrent, ce qui veut dire que les connaissances sont incomplètes.

Quand on ne sait pas, qu’est ce que l’on fait ? On mélange les essences, on se donne le plus de chances possibles pour l’avenir. Plutôt que de sélectionner une essence à un endroit donné parce que l’on pense qu’elle est mieux adaptée, il est préférable d’avoir un panel d’essences, de préférence locales. Certaines vont souffrir et d’autres se développeront, au final nous aurons un couvert forestier durable.

On constate, et notamment dans le Morvan, un remplacement de forêts de feuillus par des monocultures de résineux (douglas essentiellement) : quelles sont les conséquences pour les sols forestiers ?
Le douglas est un résineux, a priori on peut donc penser qu’il acidifie les sols. Or, selon mon expérience dans le Morvan, tout dépend de la façon dont la sylviculture est menée. J’ai pu visiter des parcelles de douglas traitées en futaie jardinée – qui ne sont pas la majorité, loin de là – où l’on voit des sols avec une bonne activité biologique, des vers de terre, des champignons, tout ce que l’on s’attend à trouver sous des feuillus.

Quand on introduit une essence exotique, il faut s’attendre à des problèmes au niveau du fonctionnement biologique des sols. Avec le douglas, ce n’est pas le cas, à condition que la sylviculture soit une sylviculture adaptée, ce qui n’est pas le cas des parcelles ou l’on pratique la coupe rase et où l’on replante. C’est peut-être plus le fait de réaliser une coupe rase que le fait d’avoir planté du douglas qui ruine les sols.

Que provoquent les coupes rases ?
Le passage des engins lourds à l’intérieur des peuplements forestiers, ou dans le cas de coupes rases, provoque le tassement des sols. Lorsque les sols sont tassés, ils sont délaissés par les vers de terre qui se déplacent vers les zones non-tassées, ils ne régénèrent donc pas les sols tassés, contrairement aux idées reçues.

On retrouve aussi cette problématique de tassement avec les coupes rases qui créent de fortes variations micro-climatiques (pluie et soleil) défavorables à la plupart des essences forestières. Lors d’une coupe rase, la nappe phréatique remonte, il n’y a plus de couverture arborée et l’on se retrouve avec des sols qui vont s’engorger et sont, dans le même temps, exposés à une forte chaleur. Toutes ces conditions sont peu propices à la régénération naturelle. La pratique des coupes rases crée un environnement drastiquement différent de ce qu’il y avait avant, sur des grandes surfaces, et la recolonisation des sols par les vers de terre et les autres occupants du sol forestier va se faire difficilement.

Quelles solutions pour l’avenir des forêts ?
On ne connaît pas actuellement l’avenir des forêts pas plus que celui du climat. Dans l’inconnu, la diversification des essences est une des solutions. Il est nécessaire d’abandonner la monoculture et les techniques drastiques de type coupe rase pour, au contraire, privilégier une richesse et une diversité des forêts avec le maintien en permanence d’une couverture arborée, de façon à ce que les processus naturels puissent continuer à se mettre en place.

Un arbre forestier pousse bien à condition qu’il soit à côté de ses congénères. Des recherches très récentes démontrent la capacité des arbres à communiquer entre eux par des signaux chimiques. Les arbres, par leur système racinaire et les champignons qui vivent en symbiose avec eux, se nourrissent entre eux, il faut donc essayer de maintenir au maximum ces processus naturels.

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